Résumé d'une publication scientifique importante pour les urgentistes

 

En novembre 2015, la revue prescrire a fait une mise au point sur l'évaluation comparative des opioïdes dits faibles : sont-ils plus efficaces que le paracétamol ou les AINS, sans exposer à autant d'effets indésirables que la morphine ? 

L'ampleur des effets de la codéïne et du tramadol est fortement influencée par l'activité de l'isoenzyme CYP 2D6 du cytochrome P450, génétiquement déterminée et très variable d'une personne à l'autre. Cela explique des surdosages (chez les "métaboliseurs ultrarapides") et des sous dosages (chez les "métaboliseurs lents"), à posologie usuelle. Les effets de la morphine et de la  buprénorphine (un agoniste-antagoniste des récepteurs opioïdes), semblent indépendants de l'activité du CYP 2D6.

La plupart des cas publiés de dépression respiratoire avec un opioïde utilisé dans un but antalgique sont survenus avec un opioïde fort tel que morphine. Des dépressions respiratoires sont survenues également après un usage bref de codéine et de tramadol à doses usuelles chez des métaboliseurs ultrarapides. Tous les opioïdes dits "faibles" exposent aux mêmes effets indésirables dose dépendantes que la morphine (constipations, nausées, confusions, dépendances dépressions respiratoires). Le tramadol a en plus une action sur la recapture de la sérotonine ; il a de ce fait des effets indésirables supplémentaires tels que syndrome sérotoninergique, hyponatrémie, hypoglycémie et convulsion. De plus, il n'est pas établi que, à efficacité antalgique équivalente, un opioïde "faible" expose à moins de risque de dépendance et d'addiction que la morphine à dose faible.

Dans les douleurs postopératoires, l'évaluation comparative des opioïdes dits "faibles" est fournie. En prise ponctuelle, un opioïde "faible" éventuellement associé avec le paracétamol a un effet antalgique supérieur à celui du paracétamol seul mais pas supérieur à celui d'un anti-inflammatoire non stéroïdien (AINS) seul. Dans les douleurs chroniques, les données disponibles ne suffisent pas pour établir qu'un opioïde "faible" a une efficacité antalgique tangiblement supérieure à celle du paracétamol  ou d'un AINS.

En pratique, en cas de douleur nociceptive très intense, la morphine est le premier médicament à envisager. En cas de douleur modérée, le paracétamol est le traitement de première ligne qui expose le moins à des effets indésirables graves ; quand la douleur n'est pas soulagée par du paracétamol, on peut envisager soit un AINS soit un opioïde, deux options qui paraissent raisonnables. Elles exposent à des effets indésirables différents (la distinction entre opioïdes forts et faibles apparaît peu pertinente pour la pratique). Quand un opioïde apparaît justifié, il n'est pas démontré que la codéine, le tramadol ou le dihydrocodeïne exposent à moins de risque que la morphine à dose minimale efficace. Par rapport à la morphine, leur efficacité est plus variable d'un patient à l'autre et ils exposent à des interactions nombreuses.

Au total, malgré de grandes différences de réputation et de réglementation, en cas d'utilisation d'un opioïde dit faible, il est prudent d'être au moins aussi vigilant qu'avec de la morphine.

Revue prescrire. Novembre 2015 ; Tome 35  N° 385 : 831-838

Stéphanie Fey-Dosda